Awsa, naissance de la dynastie Aydahisso : L’ascension de Kaddafo

Au cœur du XVIII siècle, dans les étendues arides de l’Awsa, un chef pastoral du nom de Kaddafo bouleverse l’ordre établi et jette les bases d’un pouvoir centralisé : Retour sur le destin exceptionnel de celui que l’histoire retiendra comme le fondateur de la dynastie Aydahisso

Par-delà les montagnes du Musa-‘Ali, dans les terres arides de Badayda, vivait un homme au destin exceptionnel, que les traditions orales désignent comme le fondateur de la dynastie Aydahisso. Son nom était Aydâis anfaré Aydâis, mais l’histoire l’a retenu sous le surnom évocateur de Kaddafo, le Noir, un surnom à la fois descriptif et emblématique d’un caractère insaisissable. Il fut le premier Amoyta de cette dynastie dans l’oasis d’Awsa, figure rusée, redoutée et admirée, dont l’ascension marque un tournant dans l’histoire politique de la région afare.

Né parmi les Afki‘é-k Ma‘ad, dans une région pastorale dominée par les logiques de transhumance, Kaddafo se distingue très tôt par son sens de l’organisation et sa capacité à faire prospérer le cheptel familial. L’essor spectaculaire de son troupeau pousse sa communauté à migrer vers des pâturages plus riches : d’abord à Dôbi, puis à Buldugum, non loin de ayyu. Mais c’est un appel inattendu, émis depuis l’oasis d’Awsa, qui va ouvrir à Kaddafo les portes du pouvoir.

L’invitation de l’Imam et le pacte pastoral

À son arrivée dans l’oasis, Kaddafo est convoqué par l’Imam Salman du Sultanat de l’Adal, alors aux prises avec des tensions croissantes entre les tribus sédentaires. Flairant la fragilité du pouvoir central, Kaddafo, que les récits des Modayto présentent comme « un stratège hors pair », offre son appui militaire et logistique en échange d’une taxe en nature : un sac de céréales par famille paysanne, au bénéfice des siens, pasteurs nomades. Cette taxe, appelée ‘ido-g giribi – « l’outre de semailles » – est acceptée par l’Imam, consolidant la position de Kaddafo tout en alimentant sourdement les rancœurs.

Selon Aramis Soulé, ce geste marque le début d’un jeu d’alliances habilement mené. Kaddafo approvisionne l’Imam en beurre, en bœufs, gagne sa confiance, mais écoute également les doléances des sédentaires. Une stratégie double, où se mêlent diplomatie rurale et ambitions silencieuses.

De l’ombre à la révolte

Les signes avant-coureurs de la trahison n’échappent pas à l’entourage de l’Imam. Dans un avertissement quasi prophétique, la mère du chef d’Awsa murmure :« Le changement de la direction d’écoulement d’un bras de la rivière Awash, la Nangalta, et cette contribution en maïs que les Awsa donnent à Kaddafo vont conduire à ta chute ». Ces paroles, rapportées par Soulé, annoncent la fin d’une ère.

Conscient du piège qui se referme sur lui, l’Imam tente d’arrêter Kaddafo. Mais ce dernier, toujours un pas en avance, simule une agonie sanglante en buvant un liquide rouge et en feignant de vomir devant les gardes. La ruse fonctionne. L’Imam, désabusé, aurait murmuré : « Il peut bien s’agir de la volonté de Dieu comme de la ruse de Kaddafo. »

Le coup d’État et l’avènement du premier Amoyta

C’est dans la nuit, à Handag, que tout bascule. Kaddafo, épaulé par des tribus sédentaires telles que les Haralla, les Intégéri (notamment le clan Dûrutto) et une partie des Am‘asito, lance l’assaut décisif. À la tête de la révolte se trouve son propre cousin, Aytilé Ali-Yayyo. Le feu consume la résidence de l’Imam, et avec elle, le pouvoir ancien.

Nous sommes alors, selon la chronique citée par Aramis Soulé, le 15 juillet 1764 (18 Muarram 1178). Ce basculement historique sonne le glas de l’Imamat d’Adal. Un nouveau pouvoir émerge, structuré et centralisé et qui, malgré les défis, résistera aux bouleversements de l’époque coloniale.

Kaddafo se proclame Amoyta, scellant l’avènement d’une nouvelle dynastie et redistribuant les cartes du pouvoir dans l’Awsa. Profitant de la faiblesse des tribus affamées par une invasion de criquets l’année précédente, il s’attribue des terres agricoles, tout en imposant un impôt sur les récoltes. Toutefois, dans un geste habile, il leur laisse une autonomie juridique, garantissant une forme de paix fragile mais durable.

Héritage d’un homme aux mille visages

Kaddafo demeure une figure ambivalente : tacticien redoutable et chef pastoral visionnaire. Il a su transformer les contraintes géopolitiques de son époque en leviers de pouvoir. Il incarne, selon Aramis Soulé, « le triomphe du nomade sur le sédentaire », mais aussi la complexité des dynamiques afares entre alliances et rivalités, entre migrations pastorales et ancrages agricoles.

Dans les récits transmis par les Modayto, Kaddafo n’est pas seulement un chef : il est un symbole de résilience, d’audace et de ruse, dont l’ombre plane encore sur les terres de l’Awsa.

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