FESTIVAL DE TADJOURAH : Détournement d’un évènement culturel et économique

Le Festival de Tadjourah, créé avec l’ambition de célébrer et de valoriser le riche patrimoine culturel afar, semble aujourd’hui s’éloigner dramatiquement de ses objectifs originaux. Conçu pour rassembler les communautés autour d’une identité culturelle commune, cet événement est accusé d’être devenu un instrument au service d’une propagande politique orchestrée par les dirigeants en place.

Un détournement au profit d’intérêts partisans

L’édition de cette année a suscité une vague de critiques, notamment après le retrait des principaux fondateurs du festival. Ces derniers dénoncent un manque flagrant de respect pour les valeurs fondatrices et accusent deux figures proches du pouvoir, MM. Bachir Maki et Ali Mohamed Dini, d’avoir pris le contrôle de l’organisation. Leur objectif, selon les fondateurs démissionnaires : transformer ce rendez-vous culturel en un outil de promotion électorale, à quelques mois des présidentielles.

Le thème imposé cette année, « Politique de fraternité des peuples et diversité culturelle », soulève des interrogations. Perçu par beaucoup comme une tentative de récupération politique, ce choix illustre l’effort du gouvernement pour utiliser la culture comme levier d’un message d’unité – un message qui, selon certains observateurs, masque mal des intérêts économiques et politiques bien plus pragmatiques.

Un cadre excluant et orienté

Les critiques ne s’arrêtent pas là. Lors d’une cérémonie récente organisée à Djibouti-Ville pour célébrer l’inscription du xeer issa au patrimoine immatériel de l’UNESCO, aucun historien afar n’a été invité. Cette absence de concertation a suscité de vives réactions : pourquoi imposer un thème à un festival à vocation locale sans inclure les experts et acteurs de la communauté concernée ? Cette situation alimente les accusations de marginalisation culturelle, dans un contexte où les initiatives afar peinent à obtenir un soutien institutionnel.

En outre, les difficultés financières rencontrées par le festival sont aggravées par les conditions imposées par le ministère de la Culture. Selon les organisateurs, ces contraintes servent à restreindre leur liberté de manœuvre et à accentuer le contrôle étatique sur l’événement.

Une politisation manifeste

Plusieurs éléments confirment la politisation du Festival de Tadjourah. L’omniprésence de personnalités politiques, les discours prononcés en français et l’absence de figures critiques, comme l’historien Aramis Soulé, démontrent une volonté claire de contrôler le narratif de l’événement. Les discours officiels mettent en avant les réalisations du gouvernement, reléguant au second plan la richesse et la diversité des contributions culturelles locales.

Des enjeux économiques dissimulés

Derrière cette politisation se cache un volet économique. Les contrats liés à l’organisation de l’événement bénéficieraient largement à des acteurs économiques proches du pouvoir. Le financement des projets culturels est ainsi orienté vers des initiatives qui servent les intérêts économiques et politiques d’une élite restreinte, au détriment des efforts visant à développer durablement la scène culturelle locale.

Une fracture croissante

Cette instrumentalisation du Festival de Tadjourah contribue à creuser la fracture entre le pouvoir et les communautés locales. La méfiance s’installe parmi les citoyens, qui voient dans ces événements davantage une opération de propagande qu’une célébration authentique de leur patrimoine. Les initiatives indépendantes, pour leur part, peinent à survivre face à un écosystème verrouillé par l’Etat.

Reprendre le contrôle du narratif culturel

Pour restaurer la crédibilité du Festival de Tadjourah, il est essentiel de dépolitiser l’événement et de garantir une gestion transparente et inclusive. Cela passe par une consultation réelle des acteurs locaux, un soutien équitable aux initiatives culturelles indépendantes et une redistribution plus juste des ressources. Sans ces mesures, cet événement culturel, jadis symbole de fierté collective, risque de devenir un simple outil au service des intérêts étroits d’une élite politique et économique.

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