En raison d’une crise économique liée au déficit commercial et à une pénurie de devises étrangères, l’Éthiopie, pays de 120 millions d’habitants, a récemment pris une décision radicale : l’interdiction de l’importation de voitures à moteur thermique. Ce choix s’inscrit dans une stratégie économique de survie, mais il est également présenté comme un virage vers une énergie plus verte, promu par le gouvernement du Premier ministre Abiy Ahmed. Cette mesure est un tournant pour le pays, confronté à des difficultés croissantes pour financer l’importation de carburants.
Un choix économique avant tout
Depuis des mois, faire le plein en Éthiopie est devenu un véritable casse-tête. Les stations-service sont prises d’assaut, et le prix du carburant ne cesse de grimper. Confronté à cette situation, Addis-Abeba a pris une décision inédite pour un pays en développement : bannir l’importation de voitures thermiques, ne permettant désormais que celles à motorisation électrique. Cette politique, annoncée dès janvier 2024, a été officiellement confirmée par Abiy Ahmed, Prix Nobel de la Paix 2019, qui mène parallèlement une vaste campagne de reforestation et d’investissements dans l’hydroélectricité.
En 2022, l’Éthiopie a inauguré le Grand Barrage de la Renaissance, le plus grand barrage d’Afrique, capable de produire à terme 5 000 mégawatts. Cette infrastructure permet de fournir une énergie hydroélectrique abondante et peu coûteuse, alimentant ainsi la volonté de remplacer les véhicules thermiques par des voitures électriques. À ce jour, environ 100 000 voitures électriques circulent déjà dans le pays, un chiffre impressionnant pour une nation de la Corne de l’Afrique. Mais ce changement, dicté par l’urgence économique, présente des défis majeurs.
Un défi logistique et social
Malgré la transition vers l’électrique, la réalité est bien plus complexe. Environ la moitié de la population éthiopienne n’a toujours pas accès à l’électricité, ce qui limite grandement la portée de cette nouvelle politique. Les infrastructures de recharge pour véhicules électriques sont aussi largement insuffisantes : les bornes publiques se comptent encore sur les doigts d’une main, et les foyers doivent souvent utiliser des prises domestiques pour recharger leurs voitures.
Parallèlement, le parc automobile thermique déjà en circulation risque de subir une « cubanisation», où les véhicules existants continueront à être utilisés et entretenus pendant des décennies, malgré les coûts croissants du carburant. L’ingéniosité locale sera sans doute mise à profit pour prolonger la durée de vie des voitures thermiques, même si les pénuries de carburant vont rapidement rendre leur usage impraticable pour une grande partie de la population.
Une stratégie écologique masquant des difficultés économiques
Derrière cette décision audacieuse se cache une réalité économique difficile. L’Éthiopie cherche à réduire ses dépenses en devises étrangères, qui ont atteint des niveaux insoutenables avec une facture d’importation de carburant de 6 milliards d’euros en 2023. En limitant les importations de voitures thermiques, le pays espère freiner l’hémorragie économique tout en affichant un visage tourné vers l’écologie et l’énergie verte. Cette stratégie permet à Abiy Ahmed de positionner l’Éthiopie comme un pays progressiste, en avance sur l’Europe, qui prévoit d’interdire les voitures thermiques en 2035.
Cependant, la transition vers une mobilité durable et électrique reste un défi de taille. L’Éthiopie devra surmonter des obstacles importants en termes d’infrastructures et d’accès à l’électricité pour faire de cette politique une véritable réussite, au-delà d’une simple réponse aux pressions économiques. La question reste donc ouverte sur la capacité du pays à concilier ses ambitions écologiques avec les réalités sociales et économiques auxquelles il fait face.