L’ONU dénonce la détention arbitraire de l’ex-ministre djiboutien Abdoulkarim Aden Cher

Le 14 novembre 2024, le Groupe de travail sur la détention arbitraire du Conseil des droits de l’homme des Nations unies a rendu un avis décisif concernant la situation d’Abdoulkarim Aden Cher, ancien ministre du Budget de Djibouti. Le rapport accable les autorités djiboutiennes, qualifiant sa détention de « arbitraire » au regard des standards du droit international. Une telle décision s’inscrit dans un contexte de dénonciations récurrentes de violations des droits fondamentaux dans le pays, notamment contre les opposants politiques.

Des violations en série : l’arbitraire au cœur de l’affaire

Le Groupe de travail identifie plusieurs catégories de violations dans le traitement de M. Aden Cher, soulignant un enchaînement de pratiques incompatibles avec les normes internationales des droits humains.

Tout d’abord, la détention de l’ancien ministre entre dans la Catégorie I, qui désigne l’absence de base légale. Selon le rapport, l’arrestation d’Aden Cher, intervenue le 3 mars 2022, s’est faite sans mandat d’arrêt, ce qui constitue une violation grave du droit à un recours effectif. De plus, sa détention préventive a été prolongée sans justification légale, une autre condition qui rend cette privation de liberté arbitraire. Ce premier constat est déjà un indicateur frappant du manque de respect pour les garanties juridiques minimales dans le pays.

Ensuite, le Groupe de travail classe l’affaire dans la Catégorie II, liée à la répression des libertés d’expression et de participation politique. L’arrestation de M. Aden Cher fait directement écho à la publication d’un pamphlet critique à l’encontre du président Ismaïl Omar Guelleh, qui est au pouvoir depuis 1999. Cette action, jugée par les autorités comme une attitude subversive, relève clairement d’un cas de censure politique, où l’exercice des libertés fondamentales est réprimé par le pouvoir en place pour maintenir son contrôle sur la société.

Dans la Catégorie III, l’ONU dénonce une violation grave du droit à un procès équitable. L’accès à un avocat a été restreint de manière significative, ce qui compromet l’équité de la procédure judiciaire. De plus, la présomption d’innocence de M. Aden Cher a été bafouée, ce qui témoigne d’une volonté manifeste de le condamner sans tenir compte des règles de droit. Ce point soulève des interrogations sur le respect de l’indépendance judiciaire et de la séparation des pouvoirs à Djibouti, et il illustre l’utilisation du système judiciaire comme un outil de répression politique.

Enfin, la Catégorie V met en lumière la discrimination fondée sur les opinions politiques. M. Aden Cher, figure de l’opposition, a été clairement ciblé pour ses positions politiques contraires à celles du régime en place. Cette persécution politique s’inscrit dans une stratégie systématique de répression visant à museler toute forme de dissidence et à maintenir un contrôle autoritaire sur les institutions et la société civile.

Une demande de libération immédiate et de réparation

Face à ces violations multiples et graves, le Groupe de travail a exigé la libération immédiate de M. Aden Cher. Le rapport met en avant les conditions de détention inhumaines qu’il a subies à la prison de Gabode, qu’il qualifie de « torture psychologique ». La surpopulation carcérale, l’absence de soins médicaux, l’infestation d’insectes et l’incendie suspect en novembre 2023 sont des éléments qui témoignent d’un traitement cruel et dégradant, en violation directe des conventions internationales relatives aux droits des détenus.

Outre la libération, le Groupe de travail réclame également une réparation intégrale des préjudices subis par M. Aden Cher, incluant une indemnisation financière. Cette mesure vise à rétablir un certain équilibre après une atteinte aussi flagrante aux droits fondamentaux, tout en envoyant un signal fort sur l’impunité qui ne peut être tolérée pour de tels abus.

Une enquête indépendante et des pressions internationales

L’une des recommandations clés du Groupe de travail est que Djibouti ouvre une enquête indépendante sur les circonstances de la détention arbitraire de M. Aden Cher. L’ONU exige également que les responsables de ces violations soient sanctionnés. Ce point est essentiel dans la lutte contre l’impunité, une problématique récurrente dans les régimes autoritaires où les abus des autorités restent souvent sans conséquence. Le rapport mentionne également des pressions exercées sur la famille de l’opposant, ce qui démontre l’ampleur de la volonté des autorités de détruire non seulement l’individu visé, mais aussi son entourage, pour éteindre toute forme de résistance.

La diffusion publique de l’avis du Groupe de travail, une obligation imposée à Djibouti par l’ONU, s’inscrit dans une démarche de transparence et de responsabilité. Cela vise à informer non seulement la population locale, mais aussi la communauté internationale sur les agissements du régime djiboutien. Cette publication est une tentative de briser la stratégie de silence mise en place par le gouvernement, qui cherche à museler les critiques et à réduire au minimum l’impact de l’opposition sur la scène politique.

Un impact diplomatique majeur en perspective

Le cas d’Abdoulkarim Aden Cher pourrait avoir des conséquences majeures sur la politique étrangère de Djibouti. Le pays, tout en étant un allié stratégique de puissances occidentales et chinoises, bénéficie d’une position géopolitique clé dans la Corne de l’Afrique, notamment grâce à ses bases militaires. Cette situation place Djibouti sous un double regard : celui des alliés occidentaux, sensibles aux droits humains, et celui des États membres de l’ONU, qui attendent des actions concrètes en matière de respect des normes internationales.

Les pressions diplomatiques sur Djibouti risquent de se multiplier si le gouvernement persiste à ignorer les recommandations du Groupe de travail. Cela pourrait entraîner une détérioration de ses relations internationales, déjà tendues par des précédentes condamnations de violations des libertés et des droits politiques.

Une répression systématique des opposants politiques

Ce cas illustre bien un phénomène plus large à Djibouti : une répression systématique et de longue date des opposants politiques. Abdoulkarim Aden Cher, ancien ministre du Budget et membre de commissions électorales, est devenu une figure emblématique de cette résistance contre un régime largement perçu comme autoritaire. L’ONU considère son arrestation non comme un cas isolé, mais comme faisant partie d’un schéma systémique : arrestations arbitraires, détentions prolongées et procès inéquitables qui visent à étouffer toute forme de dissidence, surtout en période électorale.

Un défi moral et politique pour la communauté internationale

L’issue de cette affaire sera un test décisif pour la communauté internationale. Face à la répression croissante de l’opposition et aux violations systématiques des droits humains à Djibouti, la réponse du gouvernement djiboutien sera surveillée de près. La pression internationale, notamment à travers l’ONU et ses organes de contrôle, devra s’intensifier pour garantir que les recommandations du Groupe de travail soient mises en œuvre.

Ce dossier n’est pas simplement un affrontement juridique ou diplomatique ; il s’agit d’une bataille pour la dignité humaine et le respect des droits fondamentaux. Dans un contexte mondial où la protection des droits humains est une priorité croissante, la communauté internationale devra se tenir prête à agir pour éviter que Djibouti ne devienne un autre exemple d’impunité dans un monde de plus en plus interconnecté.

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