Mahmoud Ali Youssouf, un Afar à la tête de la Commission de l’Union Africaine : Entre espoir et instrumentalisation

Le 18 février 2025, Mahmoud Ali Youssouf, ancien ministre des Affaires étrangères de Djibouti, a été élu président de la Commission de l’Union Africaine (UA) avec 33 voix, marquant un tournant important pour la diplomatie africaine et la région de la Corne de l’Afrique. Son ascension à ce poste témoigne de sa longue carrière diplomatique et son agenda impressionnant, de son expertise dans la résolution des conflits et la coopération régionale. Toutefois, cette élection soulève des interrogations quant à son indépendance politique et à l’influence de Djibouti sur ses décisions.

En tant que membre de l’ethnie Afar, Mahmoud Ali Youssouf incarne un rôle ambigu. D’un côté, il représente un espoir pour une meilleure représentation des peuples de la Corne de l’Afrique, notamment des Afars, communauté historiquement marginalisée, décimée et étalée entre Djibouti, l’Éthiopie et l’Érythrée. De l’autre, son élection peut être perçue comme une manœuvre stratégique du régime djiboutien, qui instrumentalise son appartenance ethnique pour masquer les tensions internes, notamment les persécutions contre les Afars.

L’Union Africaine : Entre Gouvernance Continentale et Héritage Colonial

L’Union africaine (UA) est l’organisation qui incarne l’unité politique et économique du continent africain. Depuis sa création en 2002, elle s’efforce de promouvoir la paix, le développement et l’intégration des États membres. Cependant, malgré ces ambitions, l’UA est souvent critiquée pour son incapacité à s’émanciper des structures héritées de la colonisation et de l’impérialisme.

Le Fonctionnement de la Commission de l’Union Africaine

La Commission de l’Union africaine (CUA) est l’organe exécutif de l’UA. Son rôle principal est d’assurer la mise en œuvre des décisions prises par les chefs d’État et de gouvernement de l’organisation. Basée à Addis-Abeba, en Éthiopie, elle est dirigée par un président, un vice-président et huit commissaires responsables de différents secteurs tels que la paix et la sécurité, l’agriculture, le commerce et l’innovation.

Son fonctionnement repose sur un modèle institutionnel inspiré des organisations internationales telles que l’Union européenne et l’ONU. Elle élabore des politiques, coordonne des actions régionales et gère les relations diplomatiques avec d’autres institutions mondiales. Cependant, bien que cette structure semble adaptée à la gouvernance moderne, elle soulève des interrogations quant à son efficacité et son indépendance.

Une Institution Perçue Comme un Héritage Colonial et Impérialiste

L’Union africaine, bien que se voulant une force d’unité et de souveraineté pour le continent, est critiquée pour plusieurs raisons qui rappellent les influences coloniales et impérialistes persistantes.

Une continuité avec l’OUA et le maintien des frontières coloniales L’UA est née en 2002 de la transformation de l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA), fondée en 1963. Cette dernière avait pour principal objectif de préserver les frontières héritées de la colonisation, évitant ainsi des conflits territoriaux mais empêchant également une recomposition plus naturelle des nations africaines.

Un modèle institutionnel inspiré de l’Occident L’organisation et le fonctionnement de l’UA s’inspirent fortement des institutions européennes, ce qui amène certains à considérer qu’elle est une simple copie de modèles étrangers, peu adaptés aux réalités africaines. Cette approche empêche la mise en place d’un véritable système de gouvernance endogène, conçu selon les besoins spécifiques du continent.

Une dépendance aux financements étrangers L’un des points les plus critiqués est le fait que près de 60% du budget de l’UA provient de partenaires extérieurs tels que l’Union européenne, la Chine ou des institutions onusiennes. Cette dépendance financière limite son autonomie et l’expose à des influences externes qui peuvent orienter ses décisions en fonction des intérêts des bailleurs de fonds.

Un manque d’efficacité dans la gestion des crises africaines Malgré son rôle supposé de garant de la paix et de la stabilité, l’UA a souvent été critiquée pour son inaction face à des crises majeures, comme la guerre civile en Libye en 2011 ou les récents conflits au Soudan. Cette incapacité à résoudre efficacement les conflits africains renforce l’idée que l’organisation est davantage au service des élites politiques que des peuples africains.

L’absence d’un véritable panafricanisme Contrairement à la vision panafricaniste prônée par des figures historiques comme Kwame Nkrumah ou Thomas Sankara, l’UA fonctionne davantage comme une organisation intergouvernementale que comme une véritable union politique et économique. Les divergences entre États, la faiblesse des politiques communes et l’absence d’une monnaie unique illustrent cette difficulté à dépasser les schémas hérités du colonialisme.

L’Élection du Président de la Commission : Mahmoud Ali Youssouf, Une Infiltration France-Afrique ?

L’élection d’un président de la Commission de l’Union africaine issu de la République de Djibouti suscite de nombreuses interrogations et critiques. Certains observateurs y voient une nouvelle manifestation de l’influence persistante de la France en Afrique, perpétuant ainsi le système de la Françafrique.

Djibouti : Un bastion stratégique pour la France Djibouti abrite l’une des plus grandes bases militaires françaises à l’étranger, ce qui en fait un point d’ancrage stratégique pour Paris dans la région de la Corne de l’Afrique. L’élection d’un Djiboutien à la tête de la Commission de l’UA est perçue par certains comme une opportunité pour la France d’exercer une influence indirecte sur les décisions de l’organisation.

Un processus électoral opaque et politisé L’élection du président de la Commission de l’UA a souvent été critiquée pour son manque de transparence et pour les jeux d’alliances entre États influencés par des intérêts étrangers. La candidature d’un dirigeant proche des réseaux diplomatiques français alimente les soupçons de manipulation et de lobbying en coulisses.

Un risque pour l’indépendance de l’UA Si la Commission est dirigée par un représentant d’un pays fortement lié à la France, cela pourrait compromettre l’indépendance de l’organisation en matière de politique étrangère et de coopération économique. L’Union africaine, censée défendre les intérêts des États membres de manière autonome, pourrait ainsi être orientée vers des décisions favorisant des puissances extérieures.

La réaction des autres États africains Plusieurs dirigeants africains, notamment ceux prônant un panafricanisme affirmé, pourraient voir cette élection comme une tentative d’ingérence étrangère. Des pays qui militent pour une rupture avec les anciennes puissances coloniales, pourraient exprimer leur mécontentement face à une telle nomination.

Un signal fort de l’alliance Djibouto-Française Un élément marquant dans cette dynamique est la récente décoration d’Emmanuel Macron par le président djiboutien. Cet acte symbolique est perçu comme une démonstration claire de l’alignement stratégique entre Djibouti et la France. Il envoie un message fort sur la continuité des relations bilatérales et leur influence potentielle au sein de l’Union africaine. Cette alliance renforce les suspicions quant à l’indépendance de l’UA et à l’influence persistante des anciennes puissances coloniales sur la politique africaine.

Une Institution à Réinventer ?

L’Union africaine représente à la fois un espoir et une déception pour de nombreux Africains. Son rôle dans la coordination des politiques continentales est essentiel, mais son fonctionnement actuel la rend trop dépendante d’acteurs extérieurs et trop proche des modèles occidentaux pour véritablement incarner une rupture avec le passé colonial. Si elle souhaite s’affirmer comme un moteur de développement et d’unité pour l’Afrique, l’UA devra renforcer son indépendance financière, réformer ses institutions et adopter des politiques plus ambitieuses et adaptées aux réalités du continent.

Mahmoud Ali Youssouf fait face à de nombreux défis. Il devra gérer des crises majeures comme le conflit dans l’est de la RDC, où il devra arbitrer entre le Rwanda et la souveraineté congolaise, ainsi que la question du Sahara Occidental, un dossier délicat compte tenu des positions pro-marocaines de Djibouti. Par ailleurs, son rôle dans la mise en œuvre de la Zone de Libre-Échange Continentale Africaine (ZLECAf) sera déterminant pour l’avenir économique du continent.

La question centrale reste de savoir s’il saura s’émanciper des pressions Djibouto-Français et adopter une approche véritablement panafricaine. Son appartenance à la communauté Afar, loin d’être un atout en soi, risque d’être exploitée pour servir les intérêts des impérialistes, plutôt que ceux de l’Afrique dans son ensemble.

Mahmoud Ali Youssouf parviendra-t-il à dépasser ces contraintes?


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