Tensions entre l’Éthiopie et l’Érythrée : Vers une nouvelle conflagration ?

L’histoire des relations entre l’Éthiopie et l’Érythrée est jalonnée de conflits et de tensions profondes. Ancienne colonie italienne, l’Érythrée fut annexée par l’Éthiopie en 1962 avant d’engager une lutte armée de trois décennies sous la direction d’Isaias Afwerki, conduisant à son indépendance par référendum en 1993. Toutefois, ce référendum ne fit pas l’unanimité au sein de la communauté Afar. Présents des îles Dahlak à Rahayto en Érythrée jusqu’au nord-est de l’Éthiopie, la question Afar sera systématiquement écartée des pourparlers entre le nouveau régime éthiopien et le FPLE malgré une présence des Afars en nombre dans les rangs du FPLE. Croyant à tort que dans la nouvelle configuration érythréenne ils disposeront d’une position ascendante. Cette scission fut dénoncée, notamment par les autorités traditionnelles, qui virent dans la consolidation de cette frontière un facteur d’affaiblissement et de déclin pour leur peuple.

Une crainte aujourd’hui renforcée par la situation du port d’Assab, autrefois promis à un avenir prospère, mais dont l’importance stratégique s’est progressivement érodée au fil des tensions régionales.

Dans un premier temps, les relations entre Asmara et Addis-Abeba furent cordiales, le régime d’Afwerki ayant soutenu les rebelles tigréens dans leur renversement du dictateur Mengistu Haile Mariam en 1991. Cependant, en 1998, un différend territorial autour de la ville disputée de Badme dégénéra en un conflit meurtrier de deux ans, causant près de 80 000 morts.

Malgré la signature d’un accord de paix en 2000, les tensions restèrent vives et les frontières demeurèrent hermétiquement closes jusqu’en 2018. Cette année-là, un accord historique fut conclu entre Isaias Afwerki et Abiy Ahmed, permettant la reprise des relations diplomatiques et économiques, la réunification de familles séparées depuis des décennies, ainsi que la réouverture des liaisons aériennes et la relance de projets portuaires communs.

Toutefois, la guerre civile qui a déchiré l’Éthiopie entre 2020 et 2022 a ravivé les dissensions entre les deux pays. L’armée érythréenne s’était alors rangée aux côtés des forces fédérales éthiopiennes pour combattre le Front de libération du peuple du Tigré (TPLF), ennemi historique d’Asmara. Or, l’accord de paix signé en novembre 2022 à Pretoria, qui a exclu l’Érythrée des négociations, a intensifié les tensions. Le TPLF, chargé de l’administration intérimaire du Tigré avec l’aval du gouvernement fédéral, a ensuite été secoué par une fracture interne, menant à la prise récente de la ville d’Adigrat par une faction dissidente, qui accuse les dirigeants en place de compromettre les intérêts tigréens. L’administration intérimaire, quant à elle, dénonce une collusion avec l’Érythrée, exacerbant ainsi un climat de méfiance et d’accusations réciproques.

Dans ce contexte explosif, certains experts estiment que l’Éthiopie et l’Érythrée pourraient en venir à soutenir des factions rivales au Tigré, ce qui risquerait de dégénérer en confrontation directe entre les deux États. En février, Asmara a ordonné une mobilisation militaire nationale, tandis qu’Addis-Abeba a renforcé son déploiement militaire le long de la frontière, alimentant les craintes d’une nouvelle conflagration aux conséquences potentiellement dévastatrices pour la région.

Une dégradation progressive des relations entre l’Éthiopie et l’Érythrée

Depuis 2023, les relations se sont encore détériorées sous l’effet des déclarations répétées du Premier ministre éthiopien Abiy Ahmed, affirmant le droit de l’Éthiopie, pays enclavé, à un accès à la mer. En Érythrée, ces propos ont été largement interprétés comme une menace latente, alimentant les craintes d’une éventuelle revendication territoriale.

L’escalade s’est poursuivie avec la suspension des vols d’Ethiopian Airlines vers l’Érythrée en septembre dernier, consécutive au gel des avoirs de la compagnie en territoire érythréen, marquant un tournant dans les relations bilatérales. En octobre, l’Érythrée a renforcé sa position en signant un pacte de sécurité avec l’Égypte et la Somalie, une alliance perçue comme un contrepoids aux ambitions régionales éthiopiennes.

Ainsi, le climat demeure tendu entre les deux nations, et la crainte d’une nouvelle flambée des hostilités plane sur la Corne de l’Afrique, menaçant une fois de plus la stabilité régionale.

Une tension à son paroxysme avec l’arrivée des Saoudiens

Selon Eritrean Focus, l’Arabie saoudite envisagerait d’investir plusieurs milliards de dollars dans le port d’Assab en Érythrée, une décision stratégique qui intervient peu après la signature, le 12 mars 2025, d’un protocole d’accord entre Riyad et la République de Djibouti pour la gestion du port de Tadjourah, également situé en mer Rouge. Cet engagement saoudien pourrait redéfinir les équilibres géopolitiques dans la région et renforcer son influence face à des acteurs majeurs tels que les Émirats arabes unis, la Turquie et la Chine.

Ce projet pourrait avoir des conséquences majeures pour l’Éthiopie qui mène donc une campagne diplomatique active pour obtenir un accès à la mer. L’alignement de l’Érythrée sur l’Arabie saoudite lui offrirait une protection contre d’éventuelles pressions éthiopiennes, tout en garantissant son contrôle sur Assab. Cette coopération stratégique renforcerait également l’influence saoudienne dans la région, notamment sur les voies maritimes stratégiques de la mer Rouge.

Cette initiative risque toutefois de provoquer des réactions de la part des autres acteurs régionaux, notamment les Émirats arabes unis, la Turquie et la Chine, qui ont déjà investi massivement dans les infrastructures portuaires de la Corne d’Afrique. Face à cette nouvelle configuration, ces puissances pourraient être amenées à ajuster leurs stratégies et leurs alliances.

Dans cette quête éthiopienne d’un débouché maritime, une approche pacifique pourrait résider dans un dialogue entre les populations Afars, présentes en Éthiopie, en Érythrée et à Djibouti. Peuple autochtone de la mer Rouge et premier concerné par les évolutions géopolitiques de la région, leur rôle dans la médiation et la stabilisation des intérêts en présence pourrait être déterminant pour l’avenir des relations entre ces États et éviter une nouvelle effusion de sang dans une région à cran.

Un nouvel affrontement entre l’Éthiopie et l’Érythrée, deux nations aux antagonismes historiques, semble de plus en plus probable. Un tel conflit marquerait l’effondrement du rapprochement diplomatique initié en 2018, qui avait valu au Premier ministre éthiopien Abiy Ahmed le prix Nobel de la paix en 2019. Par ailleurs, il risquerait d’aggraver la crise humanitaire qui frappe déjà la Corne de l’Afrique, région en proie à des instabilités récurrentes.

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